Le Roman de l'année : Semaine 1 - La rentrée des classes

Chapitre 6 - La rentrée des classes

Lundi matin, une petite demi-heure de route comme d’habitude. Avec mes déviations, j’arrive juste à l’heure. Je pose mes sacs dans la classe et me voilà au milieu de la cour pour l’appel traditionnel : chaque classe est appelée l’une après l’autre. Avec mes Cm2, je passe le dernier. 15 minutes de plus sans élèves…

Les voilà mes 26 élèves de l’année et avec 2 nouvelles têtes : Yann, Yona et Loana. Première consigne scolaire :

-          En rang par deux !

Et puis quelques secondes après…

-          Depuis la maternelle, on vous demande de vous ranger par deux à toutes les récréations ! Vous êtes en Cm2 ?

Plusieurs minutes pour avoir un semblant de silence et on rentre en classe…

Pas de plan de classe, chacun s’installe où il veut. De toutes façons, je les change de place toutes les deux semaines. Et puis comme ça, je sais tout de suite les associations qu’il faut éviter. A cet âge-là, ils ne sont pas toujours très stratèges… Ils se mettent systématiquement à côté de celui ou de celle avec lequel ou laquelle ils vont passer leur temps à bavarder ! Cela ne rate jamais ! Et cette année, ils ne me déçoivent pas ! Eva et Nina n’ont pas manqué de se faire remarquer de suite ! Je note dans un coin de ma tête : ne pas trop souvent les mettre l’une avec l’autre… Paul et Ethan ? Pas mieux ! Mais la première semaine est souvent comparable à la trêve des confiseurs… Certains ont un peu peur, n’osent pas encore, mais je ne suis pas dupe ! Certains ne demandent qu’à monter en puissance !

Chaque année, ma première heure de travail est la même : une petite discussion philosophique à partir de la phrase :

« Être grand donne plus de devoirs que de droits. »

La discussion n’atteint pas forcément le niveau philosophique pour tout le monde. La maturité n’est pas la même pour tous. J’adore aussi le Cm2 pour cela. Certains sont encore un peu « bébé » alors que d’autres sont déjà aux portes de l’adolescence… En caricaturant, le niveau de compréhension de cette phrase amène certains à croire que ceux qui mesurent déjà 1m50 auront plus de travail à la maison !

Et ça tombe mal, j’ai une réputation à défendre : je ne donnerais pas de devoirs à la maison… Bref, c’est compliqué tout cela !

Et de l’autre côté de la classe, je vous présente Marthe, grande fille par la taille, mais elle ne se sent pas concernée par le travail à la maison. Elle a parfaitement saisi la situation. Elle lève la main, ne tient pas en place devant ce qu’elle considère assez justement comme des inepties (même si elle ne sait pas ce que veut dire ce mot, mais elle en a un autre plus imagé !). Et je ne l’interroge pas, je sais qu’elle sait. On les torture un peu quand même ces bons élèves ! Mais c’est pour la bonne cause.

Bon allez, le temps de la matinée avance, et maintenant que les échanges avec Arthur ont permis de placer quelques élèves devant leurs incohérences, je libère Marthe : « Marthe, et toi qu’est-ce que tu en penses ? » Et voilà, hop ! En quelques secondes, elle clôt le débat ! Heureusement que je ne l’ai pas interrogée en première, ma séance était dynamitée d’entrée… C’est aussi cela mon rôle, animer la discussion, la relancer, savoir chauffer la salle et la tenir en haleine pour aboutir à la conclusion juste à quelques secondes de la récréation.

La suite est en plus, disons, administrative. Il faut distribuer des cahiers, des papiers, des fiches, et je peux enfin imprimer mes listes !

Avec mon système de Plans de Travail CPR, il faut aussi quelques explications avant de pouvoir avoir la chance d’obtenir une classe au travail. C’est en fait l’affaire de quelques jours avant que la mayonnaise commence à prendre. Mais après, ce n’est que du bonheur.

Alors je présente ce qu’est un Plan de Travail CPR, qu’il va falloir faire des choix, être pragmatique (je leur résume la chose par la capacité à s’adapter.). J’indique qu’il va falloir être stratégique. Je vais faire cela lundi puis en remettre une couche le mardi juste avant de les pousser sauvagement dans le grand bain. « Et maintenant, à vous de travailler, vous avez un plan, un manuel et un cahier ! »

J’ai à peine fini ma phrase que Nathan prend la parole : 

- Elle sert à quoi la feuille ? 

Et Nina qui renchérit :

-          Il faut faire tous les exercices ?

Pas le temps de répondre,

-          On peut commencer par l’exercice qu’on veut ? 

-          Pour la date, on saute combien de carreaux ? »

Stop ! Stop !

Mais franchement, ai-je perdu mon temps depuis deux jours ? Rendez-moi mes vacances !

En réalité, c’est comme ça tous les ans, parfois un peu plus que d’autres, mais c’est comme ça tous les ans. J’ai la parade pour gagner un peu de temps : « Débrouillez-vous, vous êtes grands ! » Avec un retour éventuel à la première discussion de l’année sur ce que veut dire être grand…

Cette première semaine est aussi l’occasion de lancer le grand, que dis-je, l’immense Challenge d’Automne de la classe des Cm2. Il s’agit d’une compétition d’athlétisme par équipe qui va occuper la classe jusqu’aux premières vacances de l’année scolaire. Ah oui, des vacances… Mais dans 7 semaines.

7 semaines donc de compétition. Chaque semaine, deux épreuves. Une individuelle et une collective. Pour cela, deux séances, une d’entrainement le lundi matin, une pour la compétition le mercredi matin. Pour débuter, la première semaine, il s’agit de réaliser des épreuves de classement qui me permettent de faire des équipes équilibrées. Depuis plusieurs années, j’ai opté pour une course éliminatoire, comme on le fait en cyclisme sur piste. L’école dispose d’une petite piste de 150m de long. La classe entière s’élance avec 2 règles à respecter :

1-      À chaque tour, on élimine les 2 derniers qui passent la ligne.

2-      On n’a pas le droit de doubler le dernier pour lui prendre un tour.

J’adore les regarder courir. Sur ce type de course, la stratégie peut décider de beaucoup de choses. Entre Eline qui part à fond et qui va tenir 5 tours comme ça (ce qui est déjà très fort) et Ilyan qui attend son heure pour accélérer au bout de ces fameux 5 tours, on a Armelle qui a bien du mal à courir 2 tours sans s’arrêter.

Et ce qui doit arriver arrive bientôt… Ilyan bute sur Nina. Il faut dire qu’elle s’est arrêtée quelques secondes pour attendre Nour. Courir c’est bien, mais discuter, c’est quand même mieux. Du coup, comme elles continuent leur petite marche tranquille autour de la piste parce que franchement : à quoi cela sert-il de courir alors que l’on est sures d’êtres éliminées au prochain passage de la ligne ? Mais en attendant, les plus rapides s’entassent derrière elles. La moitié du peloton s’est reconstitué… Tout est à refaire pour Ilyan. La ligne est enfin passée, les deux filles éliminées, il peut enfin relancer sa course, mais cette fois, Adam et Yona ne lâchent pas. Et cela pourrait durer quelques tours encore si on ne retombait pas très vite sur des marcheurs convaincus. Cette fois, c’est Robin. Il a fait un début de course tonitruant ! Il a commencé le premier tour en tête, puis comme il devait certainement s’embêter seul devant, il a pris la drôle de décision de courir en arrière en faisant coucou aux autres... Évidemment, au 4^ème tour, il est déjà moins fringant, et là il va être éliminé dans quelques secondes alors que je suis persuadé qu’avec une course sérieuse, il faisait partie des meilleurs !

Au final, les équipes sont faites et la semaine prochaine, la vraie compétition commence.

Jeudi et vendredi, le rythme de la classe commence à se mettre en place. Le premier plan de mathématiques est en route. Les premiers points bleus (signe d’un exercice réussi) ont été distribués. Quelques compétences sont même déjà validées (2 points bleus récoltés dans la même compétence). Tous les élèves semblent motivés par leur nouveau système de classe. Alors ils travaillent. Je sais que cet état de grâce ne durera qu’un moment pour quelques-uns, mais ce moment est important pour enfoncer le clou. Pour certains, c’est déjà un changement en profondeur. Tout d’un coup, ils ne se sentent pas si en difficulté que ça. Pour d’autres, c’est déjà la course aux paliers supérieurs. Tous ont envie de réussir, et puis c’est l’attrait de la nouveauté.

C’est donc une bonne première semaine, un bon lancement d’année. Le groupe est très agréable pour l’instant, respectueux et au travail. Il y a de la difficulté scolaire, mais pas plus que la normale. Il y a aussi des élèves brillants avec toutes les nuances allant de l’un à l’autre. La richesse de mon métier tient à cela. Chaque année est différente, chaque élève est singulier. Je vais m’attacher encore cette année à respecter chacune de ces singularités, en cohérence avec les concepts théoriques de ma pédagogie, la Pédagogie CPR.

Note de l'auteur : le roman de l'année est un roman ! Il s'agit d'une fiction, même s'il s'appuie sur ma réalité de professeur des écoles.

Objectif premier du roman de l'année : Accompagner les nouveaux professeurs en Pédagogie CPR

 Crédit photos : beanico-photo (www.beanico-photo.fr)